-Publicité-

Actualités

  • Imprimer le texte
  • Recommander cet article

Réponses de Démographie responsable


Lelision : Présentez-nous votre association et votre combat, si l’on peut l’appeler comme cela.


Denis Garnier (Président de Démographie Responsable) : Les membres de l’association Démographie Responsable, fondée fin 2008, sont de fervents défenseurs de l’espèce humaine ainsi que des autres espèces vivantes présentes à ses côtés, désireux de sauvegarder La Vie sur la planète et ce, dans les conditions les moins mauvaises possibles.
Issus de différents milieux (écologie, décroissance économique, défense des animaux) et considérant l’urgence de la situation, 215.000 personnes de plus par jour sur la Terre (365.000 naissances moins 150.000 décès), nous souhaiterions rassembler des personnes originaires de tous les courants de pensée et convaincre les citoyens des pays francophones de la nécessité d’agir.
En incitant à l’autolimitation de la natalité, notre association a pour objet d’œuvrer pour la stabilisation, voire la diminution à plus long terme, de la population humaine. Excluant tout ce qui ne respecterait pas les droits humains ou qui remettrait en cause la liberté de procréer, notre démarche passe par une bonne information de chacun(e) sur les conséquences de la pression démographique pour les générations futures, les autres espèces et l’environnement.

Donc, en définitive, vous êtes pour une gestion de la population mondiale. Pourquoi ? Pensez-vous que 7 milliards d’êtres humains, c’est trop ?
Nous pensons effectivement que 7 milliards c’est déjà trop, et ce du fait du manque de ressources : le capital d’énergie fossile, que la planète avait mis des dizaines de millions d’années à constituer, a été dilapidé en à peine plus d’un siècle et que nous vivons déjà à crédit sur le dos des générations futures, puisque nous les condamnons à consacrer une partie de leurs ressources et de leur travail à réparer les dégâts aujourd’hui infligés à la Terre. De plus, l’eau potable va manquer et nous peinons à nourrir la population actuelle.
Enfin, du fait de notre effectif et de nos activités, la planète se réchauffe inexorablement et nous avons provoqué la 6ème extinction de la biodiversité (97% des tigres ont été éliminés en un siècle, les ressources halieutiques se sont effondrées et de façon générale l’ensemble de la mégafaune est en voie d’extinction), ce qui non seulement risque de poser de graves problèmes à notre propre espèce, mais est aussi moralement tout à fait condamnable.


Idéalement, combien il faudrait d’êtres humains, au maximum ?
Les chiffres les plus souvent avancés sont compris entre 4 et 5 milliards d’êtres humains. Compte tenu de la projection basse des Nations Unies (8,1 milliards en 2050 et 6,2 milliards en 2100) on peut penser qu’il est possible de revenir dans cet intervalle de 4 à 5 milliards au milieu du siècle prochain. C’est à la fois une mauvaise nouvelle car la Terre va devoir nous supporter en surnombre pendant encore plus d’un siècle : c’est dire l’état de dégradation de la planète au moment où nous aurons peut-être retrouvé une population enfin soutenable… mais c’est aussi une relative bonne nouvelle puisque l’on sait maintenant que c’est possible de faire redescendre doucement notre effectif.


Ne serait-il pas mieux de rendre les gens plus raisonnables ? Certains prétendent que la planète pourrait avoir 15 milliards d’être humains, tous nourris et logés, si la gestion des ressources était mieux réalisée.
Celles et ceux qui prétendent que la planète peut accueillir « 15 milliards d’être humains » font un pari. Mais le problème est que si ce pari est perdu, ce ne sont pas eux qui en pâtiront, mais les générations qui vont les suivre…
On peut tout d’abord douter d’un tel chiffre, car les agronomes qu’on peut considérer comme relativement sérieux, telle Marion Guillou de l’INRA, sont très loin de placer la barre à cette hauteur. Cette dernière se contente de dire qu’il est possible de nourrir les 9 milliards d’habitants prévus pour dans moins de 40 ans, mais déjà sous de nombreuses conditions (« suppression du gaspillage, modération des régimes alimentaires, développement économique des zones rurales en sous production,… »).
C’est donc peut-être possible, mais bien que nous n’ayons pas leurs connaissances, nous nous permettrons d’en douter. En effet, les rendements actuels sont rendus possible grâce à l’utilisation des énergies fossiles (qui rentrent dans la fabrication des intrants et qui servent à faire tourner les machines agricoles). Que va-t-il se passer lorsque ces énergies vont venir à manquer ? De plus, l’agriculture est une très forte consommatrice d’eau douce et l’on sait que celle-ci sera de plus en plus rare dans certaines régions du fait du tarissement de nombreuses nappes phréatiques, voire du réchauffement climatique. Il faut aussi savoir que pour nourrir correctement ces 9 milliards d’habitants, il va être nécessaire dans le même temps d’augmenter la production agricole de 70%…
Ceci étant, l’alimentation n’est pas le seul besoin humain, les logements doivent être chauffés, éclairés et nous avons besoin de nous déplacer pour aller travailler mais aussi pour nos loisirs. Tout ceci nécessite énormément d’énergie et une fois les fossiles épuisées, il n’est pas sûr que le renouvelable suffise, ce d’autant plus que ce renouvelable nécessite du fossile pour être construit et maintenu en état de marche.
Au vu de tout ceci, un simple « principe de précaution » devrait nous inciter à ne pas nous laisser emporter vers la quantité de population prévue pour le milieu et la fin du siècle. Ceci étant dit, en tant qu’organisation écologiste, nous sommes évidemment tout à fait conscients de l’importance de rendre les gens raisonnables en ce qui concerne aussi leur consommation.
A cette réflexion sur la consommation s’ajoute cette celle liée à la préservation des espèces sauvages. Il va de soi que plus grands seront nos effectifs, plus menacés seront les dernières zones naturelles. L’espace disponible est une chose dont la gestion ne peut pas facilement être optimisée.
On peut évidemment entasser les hommes dans des villes de plus en plus vastes et denses (en posant d’ailleurs d’importants problèmes de qualité de vie), mais cela ne résoudra que très partiellement la question puisque les espaces liés à la production agricole et industrielle d’une population nombreuse ne pourront, eux, pratiquement pas être "densifiés". La sauvegarde des espèces est un facteur pratiquement incontournable qui plaide en faveur d’une certaine limitation démographique


Pourquoi ce sujet n’est jamais traité, que ce soit par les médias, les économistes ou même, les politiques ? La croissance infinie n’est pourtant qu’une idéologie impossible à réaliser, puisque la Terre a une superficie finie, et que nous sommes loin de pouvoir coloniser d’autres planètes (qui sont pour la plupart inhabitables).
Il n’y a en effet aucune issue à court ou moyen terme à l’extérieur de notre planète, si tant est d’ailleurs que des humains aient l’envie, en masse, de s’expatrier. Le comble serait d’ailleurs que dans quelques centaines d’années, sous la pression des évènements (et du fait de notre croissance déraisonnable actuelle) nos descendants en soient réduits à cela…
En ce qui concerne le fait que le sujet ne soit pas traité par les « politiques », voici la synthèse d’une analyse que l’on peut retrouver sur notre site :
- Traditionnellement pour l’extrême droite, un pays n’est puissant que s’il possède une démographie "dynamique", un surplus de naissances fournissant aux armées le contingent de soldats indispensable à une politique expansionniste. Assez proche du précédent, il existe un courant qui, bien que conscient du problème de la surpopulation, encourage néanmoins une course suicidaire à la natalité occidentale.
- chez les libéraux de droite et de gauche qui adhèrent au capitalisme marchand, la croissance démographique permet l’augmentation de la consommation et soutient donc la croissance économique.
- pour la gauche anti-libérale, encore bercée par l’illusion du grand soir, il est hors de question d’imposer aux masses laborieuses une quelconque restriction de leur droit à la procréation. Au fil des siècles, on est ainsi passé de la constitution d’une "armée des travailleurs" à celle d’une clientèle d’électeurs.
- pour de nombreux écologistes, le réchauffement climatique ayant été provoqué par les pays riches, la surpopulation n’est pas en cause et la seule urgence est de faire baisser le niveau de consommation et de pollution. Ils n’ont pas conscience que d’une part les occidentaux ne vont pas franchement se serrer la ceinture et que d’autre part, les habitants du sud veulent légitimement accéder au niveau de vie de ceux du nord.
- pour beaucoup d’altermondialistes, tenter d’agir sur la forte croissance démographique du sud s’apparente à du néo-colonialisme. Chargés d’un lourd fardeau de mauvaise conscience, à cause d’un passif colonial bien réel, ils s’interdisent ce genre de démarche.


Concrètement, un seul pays au monde a pris des mesures pour freiner sa démographie : la Chine. Devrions nous nous calquer sur son exemple, avec l’enfant unique ?
La Chine, avant de prendre ces mesures, avait commis de lourdes erreurs en matière de démographie puisque, après une période ambitieuse de planification familiale volontaire, Mao a relancé la natalité pour des raisons idéologiques, créant par là même une sorte de baby-boom. La catastrophe est venue de là. Les mesures qui ont été prises ensuite ont été une réponse « dans l’urgence » et elles n’ont été possibles que parce que le régime était dictatorial.
Si l’on prend le cas de notre propre pays, nous sommes loin d’une telle situation puisque le taux de natalité est, grosso modo, au niveau du seuil de remplacement. Le problème qui se pose à nous est le suivant : natalité + immigration + allongement de la durée de la vie, font que notre pays croît de 350.000 personnes de plus par an. Si nous voulons stabiliser notre population pour des raisons écologiques évidentes, il faut donc "jouer" sur les 2 premiers de ces 3 paramètres. Et comme nous sommes, fort heureusement, en démocratie, les seuls moyens que nous avons à notre disposition sont la sensibilisation à ces questions et en ce qui concerne la natalité, l’autolimitation des naissances à 2 enfants.
Intéressons-nous maintenant au reste du monde et par exemple à l’Afrique subsaharienne qui est, avec une partie de l’Asie, le berceau des naissances futures. Les pays qui composent le continent africain ont des régimes politiques faibles, plus ou moins démocratiques, relativement corrompus, et globalement assez peu conscients du problème : il ne faut donc même pas penser à des mesures « à la chinoise ». La seule chose qu’il est possible d’espérer est que les instances internationales fassent pression sur les dirigeants de ces pays pour qu’ils s’investissent à fond sur ce sujet.
Mais cette idée engendre plusieurs problèmes, comme l’enfant-roi, ou la chute dramatique des naissances des filles, à qui on privilège un successeur.
Le fait de privilégier les garçons a toujours existé dans ces sociétés et l’infanticide y était même régulièrement pratiqué. Il était donc à prévoir qu’une politique de l’enfant unique exacerberait la question. C’est donc sans doute en connaissance de cause que les dirigeants chinois ont pris cette décision, espérant que les excès resteraient marginaux.
Maintenant, il faut aussi savoir que l’autre grand pays où il y a maintenant un déséquilibre filles-garçons, à savoir l’Inde, ne connait pas de mesures coercitives. La raison de ce ratio en faveur des garçons est que certaines femmes se font avorter si elles portent une fille. Le grand "coupable" ici n’est autre que le progrès technologique (échographie)…
Quant à notre association elle est opposée à ce genre de mesure : pour nous, la fin ne justifie pas les moyens.

Quels autres moyens serait-il envisageable de faire ? Car, dans les faits, rien qu’imaginer d’imposer une restriction sur les naissances va à l’encontre de la morale : s’il faut payer pour faire des enfants, les pauvres seront lésés ; s’il faut acquérir des compétences particulières, les autres, qui ne les auront pas, seront lésés, s’il faut avoir un casier judiciaire vierge, même les erreurs de jeunesse seront sanctionnées… Bref, le sujet semble facile à traiter, mais d’un point de vue moral, il est très complexe. Qu’envisagez-vous de faire ?
Le problème ne se pose pas de cette façon pour nous, car nous ne préconisons aucune mesure coercitive. Nous expliquons les enjeux et nous nous contentons d’appeler nos contemporains à la responsabilité. De plus, 2 enfants par couple c’est déjà pas si mal, puisque d’un point de vue individuel avec un enfant on a une descendance et avec deux on même la possibilité de se dédoubler.


Il y’a aussi le problème des religions, qui, dans leur totalité, préconisent la création infinie, pour peupler entièrement la planète, et transmettre sa foi. Que faire face à cela ?
La religion chrétienne prétend que Dieu aurait dit « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-là ». Rappelons toutefois que ces propos (largement exaucés) ont été écrits par des Hommes il y a plus de 2 000 ans, à une époque où la Terre comptait seulement entre 200 et 250 millions d’habitants. Quelles que soient les convictions religieuses de chacun, on doit comprendre qu’il est impossible d’asseoir des points de vue démographiques pour le monde d’aujourd’hui sur des propos tenu dans un monde qui comprenait entre 30 et 35 fois moins d’habitants.


Ceci étant, il ne faut pas surévaluer le rôle des religions. L’exemple de pays catholiques comme l’Italie ou l’Espagne en témoigne, puisque ces 2 pays sont descendus sous le taux de renouvellement (1,4 enfants par femme dans ces 2 pays). De même, un pays musulman comme l’Iran en est à 1,9 enfants par femme et cette réduction est en partie due à des mesures prises par des ayatollahs. De toute façon, nous n’avons pas le choix, avec les religions, seul le dialogue permettra d’avancer.


Et concernant le problème des personnes qui aiment les enfants, et vont en faire autant qu’ils peuvent, sans forcément pouvoir les entretenir ?
Il faut sortir de cette caricature : les personnes qui font beaucoup d’enfants n’aiment pas plus les enfants que celles qui en font 1 ou 2. Si l’on prend le cas des populations les plus démunies, bien souvent un grand nombre d’enfants signifie un grand nombre de bras pour les travaux des champs et une assurance pour ses vieux jours, toutes choses qui s’apparentent plutôt à de l’égoïsme. De plus, dans le cas de régions à forte mortalité infantile (avant 5 ans), lorsque l’on sait pertinemment que certains vont mourir dans la souffrance, le fait d’en faire à répétition ne montre pas, à priori, une si grande empathie à leur égard.
Maintenant dans les sociétés développées, les grandes familles se rencontrent souvent dans les milieux religieux et il faut plutôt parler d’amour de Dieu que de ses enfants...
Ceci étant, nous avons confiance dans le bon sens des êtres humains une fois qu’ils auront été informés de la situation et nous pensons qu’alors la grande majorité d’entre eux aura un comportement à la hauteur de ces enjeux.


Pourquoi ce sujet est tabou, comme s’il était normal que tout les pays accroissent leur population sans aucun contrôle ?
Ce sujet est tabou car il renvoie à des choses très profondes, ancrée dans l’inconscient des individus. D’une part on parle d’un sujet très intime, la sexualité et d’autre part on touche à un droit qui date de la nuit des temps et qui n’a jamais été remis en question. Il faut aussi comprendre qu’une idéologie nataliste se cache souvent derrière cette défense du droit à la procréation.


Pour finir, si vous avez quelque chose à ajouter, n’hésitez pas. Merci beaucoup pour vos réponses et votre temps passé !
Je voudrais pour terminer faire remarquer que si les femmes des pays du Sud continuent à avoir beaucoup d’enfants, c’est : soit qu’elles n’ont pas accès à la planification familiale (20 à 30% des grossesses ne sont pas désirées), soit qu’elles sont sous la coupe de leur mari, de leur belle famille, de la religion ou d’une culture aliénante. Même si cela est difficile, il est donc tout à fait possible d’agir démocratiquement et de façon humaniste pour faire sauter tous ces verrous : l’instruction, la planification familiale et les campagnes de sensibilisation en sont les clés.


De plus, il faut savoir que dans de nombreux pays en proie à la surnatalité (Haïti, Rwanda, Burundi,…), les autorités sont conscientes de la question et tentent de mettre en place des mesures du type de celles énoncées au dessus. Cependant, elles se heurtent à des problèmes économiques, à de fortes pesanteurs culturelles, n’ont pas toujours le savoir faire approprié et ne disposent pas de suffisamment d’aide extérieure. Et donc, de ce point de vue, d’une part les débats nationaux (insuffisants) sur cette question, semblent souvent bien dérisoires face aux réalités de terrain et d’autre part le fait qu’ils soient univoques et lénifiants retarde (voire empêche) la prise de conscience de nos concitoyens et donc l’éventuelle pression que l’opinion publique pourrait exercer sur ses représentants pour que ceux-ci s’expriment sur le sujet dans les instances internationales. Une organisation comme la nôtre a donc là un important rôle à jouer.




Un grand merci à Denis Garnier. Interview réalisée le 8 novembre 2011 (mais toujours d’actualité).

Votez :
Date de rédaction : 1er septembre 2013
Dernière modification : 2 septembre 2013

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?